Pascal Grandmaison, né en 1975, vit et travaille à Montréal, Québec
Pascal Grandmaison, artiste majeur de l’art contemporain au Canada, a acquis depuis quelques années une renommée internationale. Il se distingue actuellement comme étant l’un des artistes canadiens les plus reconnus sur la scène artistique européenne. Son travail a fait l’objet de plusieurs expositions personnelles notamment au Musée d’Art Contemporain de Montréal (2006) et au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain (2011). Depuis 2000, ses oeuvres filmiques et vidéo ont été présentées dans de nombreux festivals et biennales en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Italie ou encore aux Etats-Unis. L’artiste a également été finaliste du prix Sobey 2013, plus haute distinction artistique au Canada.
Pascal Grandmaison a récemment présenté son film Soleil différé (2010) à la Gaité Lyrique (Paris) en participant pour la seconde fois aux Rencontres Internationales Paris/Berlin/Madrid (1) en février-mars 2014, ainsi que dans le cadre de l’exposition « Where do I end and you begin » au Edinburgh Art Festival (2) qui a débuté le 1e août dernier.
La main du rêve, dernier film de l’artiste qui donne son titre à l’exposition personnelle présentée à la galerie Eponyme, a été diffusé en avant-première en France dans le cadre de l’exposition collective « A Montréal, quand l’image rôde » programmée au Fresnoy (Tourcoing) durant l’hiver 2013-2014 sous le commissariat de Louise Dery. Cette oeuvre sera également diffusée lors de la prochaine édition de la Scotiabank Nuit Blanche qui se déroulera le 4 octobre 2014 à Toronto.

1. http://www.art-action.org
2. http://www.edinburghartfestival.com

La Main du rêve, 2013, vidéo projection HD, 300 images seconde, 45 min
Si La main du rêve reste fidèle à l’identité esthétique singulière qui caractérise l’oeuvre de Pascal Grandmaison, cette pièce maîtresse de l’exposition est aussi très représentative de l’évolution connue par la démarche de l’artiste. C’est avec la minutie chirurgicale et la maîtrise de la matière temporelle qu’on lui connaît que Pascal Grandmaison poursuit sa pratique du médium filmique. Cette fois cependant, il use de ses influences conceptuelles et de sa précision technique pour réaliser une ode à la nature, aux éléments et au cycle de la vie. Il les fait entrer en résonance avec les sens du spectateur, lui permettant d’expérimenter jusqu’au plus imperceptible souffle d’énergie qui les anime.
Tournées parmi l’omniprésence végétale qui peuple la région de Morin-Heights au Québec, les 300 images par seconde de la caméra très haute définition (la RED One) subliment chaque infime détail. Sous l’effet de distorsions à travers lesquelles s’entrechoquent l’inversion chronologique et la permanence de l’instant, les micro événements naturels sont transcendés en innovations temporelles d’exception. Les éléments, délestés de toute apesanteur par les ralentis et retours sur image, se lient et se délient au fil d’une fascinante danse organique. La bande sonore énigmatique, composée à partir d’un algorithme informatique transformant la résonance du bois, du caoutchouc ou du métal, envahit l’espace de perception à la manière d’un champ magnétique. L’envoûtement qu’elle prodigue nourrit la magie opérée par les fragmentations et contre-mouvements visibles à l’écran.
Au coeur d’un sous-bois oublié, l’oeil technologique procède à une fracturation multiple et subtile du temps de l’expérience esthétique, comme une nouvelle invitation de la part de l’artiste à percer le secret de phénomènes restés invisibles pour la conscience humaine. Plaçant son aspiration toujours au-delà de la performance technologique pure, Pascal Grandmaison délaisse ici une mise en abîme de l’histoire du médium filmique au profit d’une attention de plus en plus puissante et perfectionnée envers la part d’insaisissable qui compose notre environnement.

Nostalgie #1, 2013, vidéo, 10 min
Les écrits d’Albert Camus inspirent fréquemment Pascal Grandmaison. S’il en retire la mise en écho d’un regard lorsqu’il s’agit d’explorer les rapports qu’entretient l’homme avec la nature, c’est plus spécifiquement au Mythe de Sisyphe revisité par l’auteur (essai, 1942) que Nostalgie #1 fait référence. Albert Camus détourne le mythe en émettant l’hypothèse d’un héros rendu heureux par l’accomplissement de sa tâche. Il développe un parti pris philosophique sur la condition humaine en présentant l’homme agissant en pleine conscience de l’absurdité de son existence pour mieux la surmonter.

Pascal Grandmaison porte à son tour un regard décalé sur le parcours répétitif de la roche comme métaphore du cycle routinier de la vie. Non seulement la main qui active son mouvement a quitté le champ de vision mais le mouvement lui-même a subi une inversion qui instaure un pouvoir ambivalent entre le moteur et l’objet de l’action. Cadre et temporalité. L’artiste joue avec les caractéristiques du médium vidéo pour ouvrir une brèche existentielle à la surface de l’image. Les réminiscences oppressantes du mythe survivent dans le plan serré, la verticalité de l’écran et le poids de la roche augmenté par une bande son minérale et lancinante qui retranscrit toute la pénibilité du fardeau à porter. Pourtant, l’étau devient aussi écrin pour un versant plus surréaliste. Le hors champ et l’action qui se déroule à rebours semblent soudain attribuer à la pierre une valeur de guide, de repère stabilisant et libérateur pour le regard errant qui glisse avec elle à la surface de l’image.

Fake imagery of a world upside down, 2009, Ultrachrome jet d’encre, 94 × 152 cm
A l’instar de l’installation I lost you in the desert et de la série photographique Hoping the light will save us I & II, cette photographie est inspirée par l’ouvrage Moon Rocks (1), une étude sur les pierres lunaires.
Quelques années avant de mettre en scène la pierre symbolique de Sisyphe ou d’éclairer celle des grottes de Second Regard, Pascal Grandmaison voyait déjà en elle un support d’exploration des forces naturelles en lesquelles l’esprit humain peut croire alors même qu’elles échappent à sa vision. Fake imagery of a world upside down présente une double inversion, celle du sol terrestre vers le ciel, celle de la lumière vers l’obscurité et suspend le mouvement qui les relie. L’artiste y questionne le rapport entre le réel et son pendant surnaturel ainsi que celui de notre vision du monde et de sa représentation.
Cette oeuvre plus ancienne permet au spectateur de prendre de la hauteur sur les motifs atmosphériques comme abyssaux de notre univers que l’artiste scrute dans les autres pièces de l’exposition. Elle constitue en quelque sorte un trait d’union synthétique, une vision simultanée des multiples renversements perceptifs et psychiques par lesquels Pascal Grandmaison, par-delà le pouvoir de séduction de ses images, continue de mettre à l’épreuve le regard de son public.

1. Henri S.F. Cooper JR., Moon Rocks, New York, The Dial Press, 1970.

Second regard, 2013, impression jet d’encre, 68,7 × 45,7 cm
La série photographique Second regard a émergé des immenses grottes de Cacahuamilpa près de Taxco au Mexique, parmi les trois plus grandes cavités naturelles de la planète. Pascal Grandmaison y réalise une observation géologique méticuleuse, rendant compte de l’incroyable transformation du paysage terrestre, révélant le spectacle de la lente sédimentation des minéraux que l’eau dépose et sculpte patiemment.
En orchestrant une mise au jour grandiose de ces miracles de la nature, l’artiste agit surtout en éclaireur sensible et averti dont les images ne sont jamais uniquement livrées pour leur dimension esthétique. Une réflexion sur la lumière, sujet d’étude récurrent chez Pascal Grandmaison et paramètre indissociable de sa relation à l’image, est activée par l’existence de ces prises de vue en pleine obscurité. Paradoxalement, sans lumière, dans la noirceur naturelle qui l’enveloppe, une telle immensité n’est pas visible. En permettant à l’oeil de percevoir de manière aussi précise et synthétique cette vie souterraine, l’image expose en même temps sa dimension factice.

Stéphanie DAUGET