« Déplacements »
artistes :
Max Charvolen
Vernissage le 03 mai à partir de 16:00
J’ai toujours fait de la peinture en m’imposant des processus. À la fin des années soixante, mon travail consistait à investir la toile elle même : en elle même et pour elle même. J’explorais systématiquement les relations entre toile d’origine et formes découpées. L’ensemble du processus – fragmentation et réunification – devait être montré : c’est ce qui faisait représentation. Cette prise en compte de la toile jouait sur les effets de rupture entre l’objet plastique
réalisé et l’espace dans lequel il se déploie. Autrement dit, j’explorais les possibilités d’expansion de cet espace plastique, de manière à faire entrer l’espace extérieur, l’espace physique, à l’intérieur de l’oeuvre. Je considérais – et je considère toujours – la toile dont se sert un artiste, comme un espace symbolique normé, avant même toute intervention et pas seulement comme un objet physique, serait-il même déjà chargé de travail. Et c’est sur cet espace symbolique, sur cet espace déjà chargé de sens, que j’entendais agir. À la fin des années soixante dix j’ai déplacé le problème en remplaçant le référent espace symbolique normé qu’est la toile (image du
tableau) par un autre référent, physique, celui-là : l’espace dans lequel nous vivons, dans lequel nous nous tenons, l’espace tridimensionnel bâti (sol, murs…).
Le travail plastique est donc le résultat du recouvrement réel (échelle 1) d’un espace bâti (ou d’un objet) comportant différents plans qui constituent son volume, puis de la mise à plat d’un seul tenant de ce recouvrement. Cette opération constitue de fait un passage, ou un transfert, des trois dimensions du recouvrement, aux deux dimensions de la mise à plat… Ce transfert, c’est ce que fait depuis toujours la peinture : restituer en deux dimensions les trois dimensions dans lesquelles nous évoluons. (passage du 3D à 2D). Le résultat formel de cette mise à plat (échelle1)
résulte d’un plan de coupes avec ses charnières qui maintiennent l’unité. Je cherche mes modèles, dans le bâti, l’architecture…
Et, même si j’inverse la relation entre 3D et 2D, l’espace tridimensionnel produisant le format et les formes de l’oeuvre, je ne me pose que des questions de peintre. Je les articule d’une part avec une histoire de la peinture et de l’autre avec un faire. Dans ma pratique, mon corps est en dialogue avec l’espace bâti, il se mesure à lui. L’espace bâti me donne de la mesure. Ça produit de la limite et un objet plastique qui fait image, voire signe. Nos intérieurs, plus largement l’architecture, traversent la peinture comme la traversent d’autres modèles. Ils permettent de mettre
en oeuvre ses enjeux. Le modèle que j’ai choisi et le rapport physique que j’entretiens avec lui, fait ma peinture. J’ajoute que le renversement peut aussi se constater dans l’inversion du processus : c’est la toile, se collant d’une manière
dynamique et directe sur la réalité du monde, qui va faire représentation et non la réalité qui vient se projeter sur la toile… J’inverse le rapport habituel entre 3D et 2D, j’inverse l’usage de la couleur. Dans l’usage de la couleur, j’ai plusieurs procédures qui me servent à marquer des limites. La couleur se construit en même temps que la forme issue du recouvrement. Mes couleurs sont arbitraires : il n’y a pas de valeur symbolique ni de volonté d’expressivité dans mon emploi de la couleur même si le spectateur, lui, peut y voir ce qu’il veut. Les sols sont laissés le plus souvent non coloré (sinon la couleur de la colle) ils se marquent de l’usage.
En bref, mon rapport à la couleur est fonctionnel : il marque des états.
Max Charvolen, 2018
La série des dessins originaux présentée à la galerie Depardieu est une réalisation numérique : les agencements particuliers qu’elle montre sont le résultat d’un programme informatique élaboré en 1989, par Loïc Pottier, chercheur à l’INRIA, à la demande de Max Charvolen. Les éléments agencés, toujours les mêmes dans cette série, ont été « relevés » en 2003 sur les ruines du petit temple dit « le trésor des Marseillais » ou « des Massaliotes » qui se trouve sur le site antique de Delphes, à près de 200 kilomètres d’Athènes. Delphes a été considérée comme le centre religieux et politique du monde antique pendant près de mille ans, jusqu’à l’avènement de l’ère chrétienne : les cités antiques y construisaient des bâtiments où elles entreposaient leurs dons. Les Marseillais ont édifié le leur au VIe siècle avant Jésus Christ.
La première originalité de la démarche de Max Charvolen c’est que ce qu’il présente comme oeuvre est le résultat du recouvrement réel d’un volume réel (ici le Trésor des Marseillais) et de sa mise à plat physique de ce recouvrement, les couleurs servant, la plupart du temps à différencier les divers plans qui constituent le volume. Sa deuxième originalité, c’est que, au terme de cette première mise à plat, réalisée physiquement sur site réel au format 1/1, il utilise les possibilités offertes par l’informatique pour étudier les autres mises à plat possibles, virtuelles : c’est ce deuxième aspect de sa démarche qui produit les dessins numériques.
Pour se faire une idée du nombre des mises à plat possible d’une architecture (ou de n’importe quel autre volume), il suffit de multiplier le nombre des éléments entre eux. Pour un cube, il faut multiplier 1×2×3×4×5×6. Pour un volume à 10
éléments, 1×2×3×4×5×6×7×8×9×10. Pour un volume à 100 éléments 1×2×3×4… jusqu’à 100. Le trésor des Marseillais est composé de plus d’une cinquantaine d’éléments. Le nombre des mises à plat possible n’en est pas infini et il est mesurable. Mais il dépasse notre imagination et nos capacités de dénombrement.
Quelle que soit la réalisation résultant du calcul numérique, elle est très exactement la mise à plat d’un volume particulier : la représentation en deux dimensions d’un objet en trois dimensions. Et comme dans le cas du cube, il est
théoriquement possible de ré-assembler les éléments mis à plat pour reconstituer le volume du Trésor des Marseillais. Lorsqu’il réalise ses mises à plat numériques, Max Charvolen se pose les mêmes problèmes que tous les peintres et
dessinateurs depuis la préhistoire : comment représenter dans les deux dimensions de la peinture ou du dessin des objets qui, dans la réalité quotidienne, apparaissent en trois dimensions ? Et il le fait à partir d’environnements et d’objets analogues : comment les objets et les couleurs vont- ils se déployer sur un support et les espaces que nous habitons ? Comment présenter/ représenter sur un support les objets, meubles ou immeubles, dans et avec lesquels nous vivons ?
La réponse que nous connaissons le mieux, celle de la peinture occidentale depuis la Renaissance, est de donner, en deux dimensions, l’illusion du volume ; les réponses les plus pratiques et les plus utiles au quotidien, sont celles du
dessin industriel, de l’architecture ou de la géographie qui réalisent des plans, utilisent la perspective et signalent des cotes. Depuis la fin des années 70, Max Charvolen a choisi de travailler à des représentations en deux dimensions qui
éliminent toute illusion, en utilisant les matériaux et techniques du peintre et non celles de l’architecte, du photographe ou du dessinateur industriel.
En ce sens, il ouvre en nous des zones de sensibilité inattendues à nos espaces et à nos objets.
Raphaël Monticelli
Né à Cannes en 1946, Max Charvolen s’est doté d’une double formation en arts et en architecture, à l’école d’art de Nice, puis à celle de Marseille. Membre du groupe INterVENTION et cofondateur du Groupe 70, il fait son stage d’architecte à Rio, dans l’agence d’Oscar Niemeyer. Sa double formation d’artiste et d’architecte n’est pas fortuite : depuis le début, l’oeuvre de Max Charvolen joue sur cette double préoccupation, et travaille aux frontières entre l’espace physique dans lequel nous évoluons et l’espace symbolique dans lequel nous représentons. C’est ainsi qu’il s’est tout naturellement inscrit aux origines du courant esthétique de la peinture analytique et critique, questionnant les « constituants immédiats » de la peinture, accordant au moins autant d’importance au « processus de création » qu’au résultat purement esthétique. Depuis la fin des années 70, il met en place les éléments de son travail sur bâti et développe une oeuvre qui questionne à la fois les moyens dont nous disposons pour représenter le monde dans lequel nous vivons et la façon dont nous nous y tenons.
La galerie Depardieu est membre du Comité professionnel des Galeries d’art et membre du réseau Botox(s) Alpes Riviera
Galerie Depardieu
- 6, rue du docteur Jacques Guidoni 06000 Nice
- (ex passage Gioffredo)
Ouvert du lundi au samedi de 14h30 à 18h30