Entre les mondes
artistes :
Christine Crozat
Vernissage le 02 août à partir de 18:30
Françoise Besson est heureuse d’inviter Christine Crozat pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie, Entre les mondes. Une sélection d’œuvres sur papier sera visible sur les cimaises du 16 octobre au 23 novembre 2019 en résonnance avec la 15 ème biennale d’art contemporain de Lyon 2019 « là où les eaux se mêlent »
Entre les Mondes : Christine Crozat
Qu’est-ce que le papier calque, sinon un lieu de passage d’un dessin à un autre, un espace de transmission, qui raconte une petite partie de l’histoire, encore incomplète et fragmentaire ? Le papier calque est le lieu où se mêlent les mondes, celui de l’esquisse et de l’achevé, de l’oscillant et du fixe, du jour et de la nuit : Entre les mondes. Cet interstice se manifeste dans la méthode même : dessiner les contours, ne retenir que la forme essentielle et épurée. S’attacher au magnétisme du détail. Christine Crozat, en passionnée d’histoire des arts, retient, repère, puis explore. Une fleur d’un Godard pour un Portrait rouge, une mule de La mort de Sardanapale pour Queen’s bee shoe. Le détail est extrait, ciselé hors de son ensemble de référence pour lui donner une nouvelle place, un nouveau sens. Le détail comme transmission d’un monde à un autre. Vient ensuite la série des « Gris de Payne » : la presqu’île de Shimokita inspire Christine Crozat. Le végétal et l’aquatique se mêlent, les hautes herbes et les fleurs se superposent aux nuages. Des flèches ancrent parfois les formes éthérées au sol, comme pour prévenir leur envol en dehors du cadre, arrondies et trop légères.
Au-delà du papier calque, la série Dans les champs de Christine Crozat exprime cet Entre les mondes, entre le monde des hommes et celui de la vie quasi microscopique qui fourmille dans le champ, qui ne peut être accessible qu’en se penchant pour se mettre humblement à sa hauteur. En avançant « à l’aveugle », les champs et leurs mouvements se construisent d’eux-mêmes. On assiste à une pérégrination. L’artiste progresse avec son dessin, l’accompagne. C’est ici que l’on trouve l’oscillation, entre inquiétude et sérénité : un premier champ est caressé par la brise qui donne à écouter le silence apaisant de la montagne ; s’y oppose un deuxième champ couché, chaotique, n’attendant plus que la lacération de la moissonneuse venue arracher la plante de sa terre. Un autre encore rappelle une fourrure, animalité sauvage et rebelle. L’incision et le détail de la ligne donnent à voir le mouvement : la bête louvoie. Elle chasse, traque sa proie. Porteuse de mort et de vie ; encore et toujours l’oscillation et la dualité.
« Autoportraits au chardon » : la vie devient survie. Prête à se défendre, la fleur n’en demeure pas moins fragile sur sa tige légère. Remonter cette tige, du regard vers la fleur, cheminer dans la nuit de l’incertain vers l’affirmation franche de la vie. Suivre le trait de fumée d’une fusée de détresse vers l’éclat lumineux, brillant mais éphémère. Manière de signifier brièvement et intensément sa présence dans l’épaisseur de la nuit. Lorsque la nuit n’est plus épaisse, elle est lacérée par la pluie, dans un rideau dense et constant, magnifiquement rendu par le travail du papier et du noir. Et pourtant, la fleur est bien présente, elle illumine le dessin. La violence des verticales tranche avec sa blancheur éthérée. La fleur lutte pour être vue ; elle peut disparaître, à tout moment.
La présence, l’absence : deux faces d’une même pièce, illustrées par l’empreinte de pas. Fascinée par le pied et sa marque, Christine Crozat propose un écrin, un « récipient à pied » : La chaussure du pèlerin. Tout en verre, cette chaussure illustre le passage du temps, la terre imprégnée du pied, la marche d’escalier lentement incurvée par les innombrables pas du passé. Mais un pas ne se fait jamais seul. Une autre chaussure fend le vent comme l’artiste fend le calque. Shinkan shoe. L’impression de vitesse est frappante, et pourtant contraste nettement avec le matériau utilisé, le verre. Matériau d’état et de forme énigmatiques lorsqu’il est chaud, le verre fige un instant une fois refroidi. Capture d’un moment, figé dans toute sa fragilité. Christine Crozat réalise l’exploit paradoxal de figer la vitesse. D’arrêter le temps. Sachant cela, rien d’étonnant quant au choix de la cire pour la troisième et dernière chaussure : Queen’s bee shoe. « Prenons par exemple, ce morceau de cire, nous dit Descartes » (Méditations Métaphysiques, II, §11-13) : une chose d’apparence si simple, mais qui déborde en réalité de complexité. La cire qui nourrit, la cire qui fige, la cire qui fond. Merveille de la nature qui questionne nos certitudes les corps et la perception que nous en avons. Le moule de cire enveloppe le pied, pour rendre sa forme, toujours absente.
Les œuvres de Christine Crozat n’invitent pas au voyage. Elles vous embarquent (de gré ou de force) dans une pérégrination mentale qui peut être tout autant légère et apaisée que profonde et torturée. Cependant, le fil (rouge, bleu, noir) est toujours la vie. La vie dans son éclat, la vie dans son écrin, mais aussi et surtout dans sa survie, escarmouche perpétuelle pour s’affirmer et se confirmer. La pérégrination, le double, mais aussi les grandes forêts ancestrales du Japon, les fonds marins : l’œil perçoit l’ensemble, s’accroche au détail puis l’extrait au scalpel pour en faire un nouvel élément central. Arracher pour mieux donner vie, morceler pour exister. La pérégrination n’est pas une balade dominicale insouciante, c’est une procession empreinte de gravité. Il ne s’agit pas d’errer sans but, mais bien de trouver sa voie dans le chaotique déferlement de la vie.
Xavier Petit, Lyon, le 26 juin 2019
Doctorant en philosophie esthétique
Galerie Françoise Besson
- 10 rue de Crimée 69001 Lyon
- Du mercredi au samedi de 14h30 à 19h
et tous les jours sur RDV.